samedi 6 janvier 2007

Les lesbiennes et le nazisme


Le régime nazi et l’homosexualité La distinction entre gays et lesbiennes

Si on se penche sur les lois anti-homosexuelles votées par les nazis après leur arrivée, on remarquera qu’elles ne concernent que les hommes (à l’exception de l’Autriche, qui a conservé une législation préexistante). Pourquoi cette distinction ?Premièrement, le lesbianisme est beaucoup plus diffcile à condamner que l’homosexualité masculine : des juristes (souvent masculins hétérosexuels) n’arrivent pas à définir clairement d’un point de vue légal les rapports sexuels entre deux femmes, et parfois en nient même l’existence ; les lesbiennes forment une communauté beaucoup moins voyante que les gays, et donc plus diffcile à cerner ; enfin pendant la guerre les lesbiennes se fondent bien dans la population civile où les femmes sont sur-représentées. Deuxièmement, le lesbianisme est moins “néfaste” que l’homosexualité masculine. Pendant la guerre,on manque surtout d’hommes et moins de femmes : le lesbianisme est donc “tolérable”, car il entrave moins les naissances. Les femmes ont souvent peu d’autonomie à cette époque et il n’y a donc pas besoin de recourir à la justice pour obliger les lesbiennes à rentrer dans le rang : il suffit par exemple de les marier. Enfin, comme la femme représente moins l’idéal nazi que l’homme, le lesbianisme nuit moins à l’image de l’idéal nazi que l’homosexualité masculine. Cela ne signifie pas que le lesbianisme était acceptable du point de vue des nazis : simplement on n’essayait pas de le combattre directement par des moyens juridiques. Comme pour les gays, tous les bars et lieux de rencontre lesbiens en général ont été fermés à l’arrivée des nazis, détruisant le début de communauté lesbienne. Et les lesbiennes étaient tout de même occasionnellement poursuivies au titre du paragraphe 176 qui interdisait aux individus bénéficiant d’une position d’autorité d’entretenir des relations sexuelles avec les personnes à leur service.On connaît des cas de lesbiennes déportées en tant qu’asociales (triangle noir), catégorie qui regroupait toutes les personnes que les nazis considéraient comme non-intégrables (Tziganes, SDF, prostituées,etc...). Dans ce cas les personnes concernées pouvaient être déportées directement par la police criminelle,c’est à dire sans passer devant la justice, et ne portaient aucun signe distinctif indiquant la raison de leur déportation (mis à part le triangle noir des asociaux).En réalité, le vrai vice des femmes du point de vue nazi, l’équivalent de l’homosexualité chez les hommes, était l’avortement. Ce n’est pas un hasard si une division (Reichszentrale zur Bekämpfung der Homosexualitätund der Abtreibung) de la Gestapo combattait de front l’homosexualité et l’avortement. En effet, d’un point de vue démographique, l’homosexualité et l’avortement ont - en théorie - le même effet :ils vont à l’encontre d’une politique de natalité, et répandent l’idée que la sexualité existe hors d’un cadre purement reproductif, ce qui va dans les deux cas complètement à l’opposé de la vision nazie de la sexualité.


Dès 1909, le gouvernement essaie d'inclure les femmes dans le fameux paragraphe 175, qui condamne les activités homosexuelles entre hommes. Plus tard, pendant des années, des juristes, des criminologues, des théoriciens du parti nazi font de nouveau pression pour que l'homosexualité féminine entre dans le paragraphe 175. Pour eux c'est «une menace morale à la pureté de la race», une façon de «soustraire les femmes aux hommes et à l'institution du mariage». Le lesbianisme n'entrera pourtant jamais dans le paragraphe 175, pour plusieurs raisons: dans la société allemande, les femmes sont exclues des postes politiques et administratifs importants. Leur influence est donc peu redoutée. De plus, d'après des conclusions médicales de la fin du XIXe siècle, l'homosexualité féminine ne serait pas antinomique avec le désir de se marier et de fonder une famille. Cette théorie conforte l'idéologie nazie qui préfère croire que l'homosexualité se soigne. La thèse d'une homosexualité innée répandue en Allemagne pourrait mettre à mal le concept de «race maîtresse pure». Enfin, les relations «intimes» entre femmes sont trop courantes, trop difficiles à identifier. Le meilleur moyen de ne pas «encourager la diffusion de l'épidémie» chez les femmes est donc de la passer sous silence. Les lesbiennes échappent ainsi aux graves condamnations infligées aux hommes homosexuels: 50 000 d'entre eux sont condamnés sous le paragraphe 175, parmi eux, 15 000 sont internés en camps de concentration et les deux tiers n'en reviennent pas. En revanche, ce silence autour des lesbiennes ne permet pas de mesurer l'étendue de leur persécution, le plus souvent cachée sous des prétextes divers, ni de dégager des chiffres.

L'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 frappe de plein fouet la communauté lesbienne. Les rafles dans les lieux lesbiens sont si fréquentes qu'ils ferment tous rapidement. A Berlin, seuls deux ou trois bars – des arrières salles – ouvriront dans la clandestinité. La presse lesbienne est interdite, les associations dissoutes et un témoignage prouve que les nazis dressent des listes de lesbiennes. De nombreux témoignages montrent que les lesbiennes vivent dans la peur des dénonciations. Elles craignent également, à juste titre, les licenciements, car les lesbiennes sont licenciées quand elles sont «découvertes» sur leur lieu de travail. La plupart des femmes interrogées racontent qu'afin de passer inaperçues, elles changent leur apparence et adoptent une allure féminine correspondant aux canons nazis. La pression sociale sur les lesbiennes est telle que nombreuses sont celles qui se marient, certaines avec des homosexuels. Finalement, le seul moyen de ne pas être persécutée en tant que lesbienne, c'est de rentrer dans le rang… et de ne plus l'être. On sait que de nombreuses lesbiennes sont pourtant arrêtées, emprisonnées ou envoyées en camps de concentration. Le récit de Lotte Hahm, une des plus grandes militantes lesbiennes berlinoises, arrêtée avant la guerre et envoyée en camp de travail pendant plusieurs années en raison de ses activités, entre autres la gestion d'associations et de clubs le prouve. La présence de blocs réservés aux lesbiennes est attestée dans certains camps, comme à Bützow (ex-R.D.A.) où les lesbiennes étaient maltraitées et humiliées. Les SS incitaient les prisonniers du camp à les violer. Dans le camp de femmes de Ravensbrück, les lesbiennes portaient un triangle rose avec le sigle «LL» (Lesbische Liebe, amour lesbien). Mais le plus souvent, les lesbiennes portent le triangle noir des «asociales».
Combien de lesbiennes ont-elles été tuées comme elles sous le IIIe Reich? Combien ont été violées, combien ont dû se cacher parce qu'elles étaient lesbiennes? La lesbophobie, qui n'est pas une prérogative du IIIe Reich, rend aujourd'hui toute évaluation impossible. Pourtant, il serait dangereux de minimiser la persécution des lesbiennes, sous prétexte qu'elle a été effacée par leurs tortionnaires et par l'Histoire.

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